Des photos pixélisées qui séduisent toujours artistes et bidouilleurs


Cet accessoire doté d’un objectif rond transforme la Game Boy en appareil photo.

Avec ses gros pixels et ses clichés en noir et blanc, la Game Boy Camera a de quoi faire vibrer la fibre nostalgique de ceux qui ont, durant leur enfance, tenu entre leurs mains la console portable de Nintendo.

Lors de sa sortie française, le 17 juin 1998, cet objectif qui s’insère à l’arrière de la console et la transforme en appareil photo numérique peine à convaincre. La faute à « une définition fort moyenne et [à] des performances techniques très limitées », déplore le journaliste du Monde Pierre Trillat.

A l’époque, la console qui a vu naître les premiers Pokémon est en fin de cycle. Elle a 9 ans : une éternité. L’année suivante, son constructeur japonais annonce sa successeure, la Game Boy Advance, quatre fois plus puissante.

Faible résolution mais grande longévité : un quart de siècle plus tard, la Game Boy Camera stimule la créativité d’artistes amoureux de photographie et de consoles rétro. Son esthétique immédiatement reconnaissable a trouvé une deuxième vie sur le Web ou les réseaux sociaux. Mais l’appareil ne s’apprivoise pas aisément. Ceux qui s’y frottent doivent surmonter une série d’obstacles pour maîtriser les fondamentaux de la « Game Boy photographie ».

Quête N° 1 : faire une bonne photo

Compilation de photographies de Pierre Corbinais durant des manifestations contre la réforme des retraites de 2023.

Depuis janvier, l’antique console est utilisée pour immortaliser, par exemple, la mobilisation contre la réforme des retraites. Pierre Corbinais, auteur et scénariste de jeux vidéo (Enterre-moi mon amour, Road 96: Mile 0), poste des photographies pixélisées des cortèges marseillais sur le réseau social Mastodon.

Couvrir un tel événement avec un appareil photo qui ne s’embarrasse ni des détails ni des couleurs est un défi, raconte-t-il au Monde : « A la première manif, j’avais très, très, très peu de bonnes photos. » L’exercice est d’autant plus périlleux que la Game Boy Camera est dotée d’un petit écran et ne peut stocker que trente images.

Le photographe amateur ne se décourage pas pour autant. Pour lui, la contrainte artistique est un puissant moteur créatif lorsqu’elle est déployée sciemment. Un principe inspiré par l’Oulipo, un groupe de recherche littéraire cofondé par Raymond Queneau en 1960.

« La Game Boy Camera t’apprend à regarder les choses différemment. La photo de l’ombre d’un poteau sur un mur est bien plus intéressante qu’un cerisier en fleur. Ce qui marche, en fait, ce sont les gros contrastes », estime le trentenaire. Il voit là une « approche brutaliste » de la photographie qui ne cesse de l’influencer, depuis qu’il a commencé à la pratiquer en novembre dernier : il a créé un jeu vidéo gratuit, publié en mai, à partir d’images prises avec sa Game Boy Camera.

Quête N° 2 : récupérer les photos

La Game Boy Camera propose un dégradé de quatre « couleurs » : du noir, du gris foncé, du gris clair et du blanc.

En 1998, la Game Boy Camera est vendue avec la Game Boy Printer. Cet accessoire supplémentaire imprime les clichés sur du papier format ticket de caisse. Un principe délicieusement désuet, le seul moyen de garder une trace de ces photos qu’il est impossible de transférer sur un disque dur et, évidemment, encore moins dans le cloud.

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C’est d’abord une source de frustration pour Jean-Jacques Calbayrac, qui a acheté sa Game Boy Camera pour deux euros sur une brocante en 2013. A l’époque, l’étudiant en photographie à l’école des Gobelins, à Paris, écume le web en quête de solutions. Ils ne sont alors qu’une poignée à s’intéresser à l’objet. Il résout le problème en se procurant un boîtier fabriqué au milieu des années 2010 par des étudiants américains.

Grâce à ce dispositif – répliqué depuis par de nombreux autres fans – il peut désormais transférer ses photos sur un ordinateur, et lancer, en 2016, le compte @gameboycameraman sur Instagram. Il y propose aussi bien de la photographie de rue, des portraits, que des images naturalistes. La reprise d’une photo par le compte officiel d’Instagram attire l’attention : @gameboycameraman devient l’un des comptes importants du mouvement de la « Game Boy photographie ». Il comptabilise plus de 8 000 abonnés.

Quête N° 3 : aller au-delà du pixel

Depuis, Jean-Jacques Calbayrac s’est reconverti en développeur. Il a ainsi pu étudier de près les algorithmes de l’engin hybride de Nintendo. Pour lui, son rendu visuel inimitable se joue « au-delà du pixel » : « Elle peut produire des motifs de croix ou des points au milieu d’aplats de noirs que je trouve superbes. Ça a été inspiré par des motifs d’imprimerie des années 1950 et 1960, qui permettaient de faire des dégradés juste avec de l’encre noire. »

Son potentiel artistique est peu à peu redécouvert. Dans les années 2000, les artistes l’ont rarement plébiscité, à la notable exception de Neil Young, qui s’en sert pour illustrer la pochette de son album Silver and Gold. Aujourd’hui, elle donne naissance à des projets d’art numérique mutants, comme « The Game Boy Camera Gallery ». Cette exposition, conçue par l’Américaine Cat Graham en 2022, se consulte à l’intérieur même d’un jeu vidéo, que l’on peut découvrir en ligne ou sur une cartouche de Game Boy.

Quête N° 4 : optimiser l’appareil

Des objectifs d’appareils photo sont fixés à des Game Boy Caméra pour repouser leurs limites.

Andreas Hahn fait partie des artistes exposés par « The Game Boy Camera Gallery ». Ce développeur allemand s’amuse à débrider le potentiel de la Game Boy Camera en la bidouillant.

Certains de ses programmes débloquent l’accès à la vitesse d’obturation ou à la netteté, gérée par défaut de façon automatique. Cet amateur d’impression 3D collabore avec d’autres internautes pour fabriquer des montures d’objectifs d’appareils photo afin de les fixer sur l’œil unique de la cartouche.

Ouvrir des Game Boy Camera, les ausculter et en changer les pièces… La démarche est la même que celle d’un collectionneur de voitures anciennes qui passe son temps libre sous le capot de ses bolides. L’activité passionne maintenant autant Andreas Hahn que la pratique de la photographie.

Andreas Hahn privilégie les compositions travaillées. Il publie ses photos sur le compte Intagram @herr_gack.

Moderniser un objet qui justement est séduisant grâce à ses limitations techniques peut paraître paradoxal. « Les “mods” [modifications] permettent juste d’avoir un meilleur contrôle sur l’image. Mais ses principales restrictions, sa faible résolution et les quatre couleurs sont conservées », répond-il au Monde.

En plaçant d’imposants téléobjectifs sur le petit engin, Andreas réussit à zoomer sur des bâtiments élevés – ou même à prendre de superbes vues de la Lune. Un astrophysicien est même allé plus loin en connectant sa Game Boy Camera à un télescope pour proposer des images – très rudimentaires – des lunes de Jupiter. Grâce à ces passionnés, l’appareil conçu il y a vingt-cinq ans pour capturer les bouilles des enfants des années 1990 peut désormais se targuer de viser les étoiles.



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Catégorie article Politique

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